Date: 18 décembre 2023 à 14h
Lieu: Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine – Salle des Actes
Cette thèse réexamine de manière critique la notion de frontière à l’aune des relations géopolitiques complexes qu’entretiennent le Niger et l’Europe depuis 2015. Elle postule l’existence d’une frontière « épaisse » non contiguë, façonnée par les interactions transnationales entre les deux entités plutôt que par la proximité géographique, et analyse la manière dont cette conceptualisation remet en question les conceptions traditionnelles de la souveraineté étatique et de l’intégrité territoriale. La recherche se concentre sur les interactions entre l’externalisation des dispositifs européens de gestion des migrations dans les confins saharo-sahéliens et les dynamiques socio-politiques générées par leur internalisation au Niger. À cette fin, elle analyse la diffusion des normes, valeurs et fonds européens et leur influence sur les stratégies nationales du Niger en matière de gouvernance des migrations et de gestion des frontières, ainsi que les implications plus larges pour la souveraineté du pays.
Dans une perspective diachronique, la thèse replace les récents développements observés au Niger en matière de gestion de la migration — d’une approche de laisser-faire à la criminalisation des prestations de services aux migrants — dans un contexte plus large de bouleversements géopolitiques et structurels qui ont induit un effet d’entonnoir sur les routes transsahariennes du Niger. Il s’agit notamment du chaos sécuritaire qui prévaut dans la région saharo-sahélienne, des politiques restrictives déployées aux frontières méridionales de l’Europe et des réponses de cette dernière à la « crise des réfugiés » de 2015. Le sommet de La Valette y joue un rôle essentiel ayant consolidé le rôle du Niger comme partenaire clé dans la stratégie européenne d’externalisation des frontières, ainsi qu’en témoignent les financements substantiels accordés par le biais du Fonds fiduciaire d’urgence de l’UE pour l’Afrique (FFUA).
Adoptant une approche interdisciplinaire, cette thèse s’appuie sur les outils analytiques traditionnels des sciences sociales, mais aussi sur l’analyse des réseaux sociaux (SNA) et l’analyse spatiale pour analyser les dynamiques sociopolitiques et géopolitiques résultant de ces développements. Elle démontre comment ce changement de paradigme a provoqué une frontiérisation inédite et violente du territoire nigérien. Celle-ci résulte de la conjugaison de pratiques et de normes européennes avec des stratégies socio-politiques nationales, générant des dynamiques complexes de cooptation et de résistance qui redéfinissent la souveraineté du Niger. Les résultats de cette recherche soulignent ainsi comment l’hybridation de l’État résultant de ce processus remet en cause la conceptualisation dominante, selon laquelle l’aide étrangère sape la souveraineté des États africains au profit de la mondialisation et du néolibéralisme.
En articulant les implications des pratiques frontalières et de la mutation de la souveraineté, la thèse apporte ainsi une perspective nuancée aux débats de la géographie politique et des Border Studies. Elle révèle la complexité avec laquelle les forces extérieures remodèlent les politiques internes, permettant au Niger de tirer parti des rentes liées au développement et à la migration pour affirmer son contrôle et son autorité, et réaffirmer, malgré tout, sa souveraineté face à l’internationalisation de la gouvernance de la migration.